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ANALYSES FILMIQUES

JEUNE MAÏS 

(interrogateur)

C'est quoi une analyse filmique Madame ? 

​

MADAME

Une analyse ?

​

Elle réfléchit un instant puis reprend.

​

MADAME

Et bien jeune maïs, une analyse c'est la manière dont on s'intéresse à un film par rapport à un sujet. Par exemple on peut se demander quelle est la signification des décors dans une scène d'un film. Est-ce que ça va provoquer l'effroi, la joie, la tristesse ? De quelle manière ? Et dans quel but ? Une fois tous ces éléments réfléchis, on organise nos réponses en répondant à la question, on structure puis on conclut. Voilà jeune maïs c'est ça une analyse. Et ici, c'est ce qu'on peut lire. Si tu es intéressé par un film OU une série en particulier, lire une analyse peut être intéressant car ça te permettra d'en apprendre plus sur le film ou voir le film d'une autre façon. 

L'invasion de l'école de bodega Bay

Les Oiseaux, Alfred Hitchcock, 1963

On commence fort avec Hitchcock ! Tu sais le vieux monsieur qui est toujours de profil ! Mais si ! Attends je vais te montrer !

Alfred Hitchcock profil.jpg

Voilà ! Tu vois qui c'est maintenant ?

Si tu vois toujours pas jeune maïs, je peux plus rien faire pour toi ...

         En 1963 Hitchcock réalise le film Les Oiseaux, inspiré du roman de Daphné du Maurier, publié dix ans auparavant. Ce thriller relate l’histoire de Mélanie (Tippi Hedren) qui se rend à Bodega Bay dans le but d’offrir à la sœur de l’homme qu’elle aime, Mitch (Rod Taylor), un couple d’inséparables. Après avoir subi une première attaque, causée par une mouette dès son arrivée, les habitants constatent que les oiseaux agissent bizarrement. L’extrait du film étudié se trouve être l’une de ces attaques, pour ainsi dire la quatrième. La peur règne dans le foyer Brenner. De ce fait, Mélanie va chercher Cathy à l’école. S’en suit une attaque de corbeaux à l’encontre des jeunes élèves. De quelles manières Hitchcock arrive-t-il à instaurer un sentiment d’inquiétude grandissant face à la menace, déjà existante, des corbeaux ? Le réalisateur joue sur la fonction des procédés cinématographiques, tels que la signification des objets, le son, les plans, le cadrage ou encore le montage. On peut constater que ces éléments ont un rôle qui instaure le calme mais aussi la panique, de manière ascensionnelle. De ce fait cette analyse portera sur les enjeux et les choix de mise en scène dont nous allons tirer une interprétation.

 

        Dans de nombreux films d’Hitchcock, les objets ont une signification. Ici, le film a pour sujet principal de violents oiseaux. Pour ainsi dire, le réalisateur transforme des oiseaux, animaux de notre quotidien plutôt inoffensifs, en bête féroces et meurtrières. Ainsi le réalisateur les dote d'une intelligence quasi équivalente à la nôtre. 

Dans la séquence étudiée, les oiseaux se posent, un par un, sur une cage à poule qui se trouve être un jeu pour enfants. C’est une manière de montrer que les enfants sont d’ores et déjà piégés. Ils sont en cage. C’est une indication de ce qui va suivre. Les rôles s’inversent, les oiseaux ne sont plus en cage, mais les enfants le sont. Cette mise en scène se traduit comme une menace planante qui attend de déployer ses ailes. Les oiseaux sont dépeints comme des prédateurs qui attendent que leurs proies sortent de leur cachette. 

Un autre accessoire attire l’œil du spectateur, on le retrouve lors de l’attaque des corbeaux sur les enfants. Une jeune fille tombe et casse ses lunettes, le réalisateur les filme en très gros plan afin de montrer la fragilité des enfants face aux volatiles et la violence de ces derniers qui ne laissent rien indemne, pas même une paire de lunettes. 

Enfin, un dernier accessoire prend de l’importance pendant l’attaque. Après que la jeune fille soit tombée, elle, Cathy et Mélanie se réfugient dans une voiture. Cette dernière est présentée comme blanche, isolée, elle est la seule solution aux alentours qui puisse aider ces personnages féminins. La couleur blanche, ici synonyme d’espoir rend grâce aux trois personnages qui arrivent à se sortir de cette invasion. On peut y trouver une dimension presque angélique, une voiture blanche, délaissée et qui plus est ouverte. Elle apparaît comme un miracle et comme un moyen de protection divin. Cet accessoire renforce, en effet, la dimension religieuse apocalyptique du film. 

Il n’y a pas que les objets et les décors qui contribuent à accroître cette tension ressentie par le spectateur. En effet, le son a aussi un rôle primordial dans cette séquence. 

        Hitchcock joue beaucoup sur le calme avant la tempête dans cette séquence, comme dans toutes celles où les oiseaux attaquent. Ce calme se traduit par le silence étouffant du début de la séquence. Il n’y a aucune musique ajoutée, juste les chants des enfants en classe. Là où les chants des enfants devraient nous calmer, nous remplir de joie, ils ne font qu’accentuer cette sensation de douce panique, qui s’empare de nous. Le réalisateur a choisi de miser sur le paradoxe de ce chant, presque angélique qui émane des voix des jeunes enfants, avec les corbeaux, créatures associées au malheur. Encore une fois, le réalisateur a voulu introduire la dimension religieuse dans sa séquence. Alors que les enfants représentent les anges, les corbeaux, eux, représentent les ténèbres qui causeront la fin du monde. Ces chants ne font qu’accroître le sentiment de peur chez le spectateur. On peut, aujourd’hui, retrouver cet effet dans certains films d’horreur où une comptine pour enfants est associée à l’arrivée d’un évènement qui surprendra et effrayera les spectateurs. 

L’envol des oiseaux se fait dans un tel vacarme que le son envahit la scène. Les bruits de claquements de becs, de battements d’ailes et de croassements sont amplifiés. Ici, le son est maître de la scène et a pour but de provoquer la terreur et cet effet de guet-apens. S’en suit un mélange de sons, entre ceux des cris qu’émettent les enfants, leurs bruits de pas, et ceux que font les corbeaux. Cette action a pour conséquence de faire perdre tous leurs repères aux spectateurs, il est impossible d’isoler chaque son. Ce charivari augmente la panique déjà présente chez le spectateur, qui ne sait plus où il en est, l’intention étant de s’identifier aux enfants terrorisés, eux-mêmes désorientés. Aucun contrôle n’est possible quant à cette situation, on ne peut que la subir. 

Au son, s’ajoutent des effets visuels, tels que le cadrage, les plans et le montage qui offrent la possibilité aux spectateurs de s’identifier aux personnages.

 

        Ce qui crée cet effet d’inquiétude grandissante est la méconnaissance du personnage de Mélanie quant aux corbeaux qui arrivent en grand nombre. On a connaissance, bien avant, elle de ce qu’il se passe derrière son dos, et pour cause un plan nous fait comprendre dès le départ que la cage à poule se trouve derrière son dos et qu’elle ne peut percevoir ce que nous percevons - c’est-à-dire l’arrivée, sous tension, des corbeaux. Le spectateur ne peut qu’angoisser face à cette situation. Qui plus est Hitchcock rehausse ce sentiment en alternant des plans de Mélanie regardant l’école - donnant cet espoir qu’elle tourne encore légèrement la tête pour entrevoir ce qui se trame - et des plans des corbeaux de plus en plus nombreux. Cet accroissement du nombre de corbeaux va de pair avec l’accroissement de cette crainte du spectateur. Nous sommes témoins de la scène et pourtant, nous sommes impuissants. Ce procédé utilisé étant typique d'Hitchcock pour augmenter la tension. L’ignorance de Mélanie se brise lorsqu’elle remarque la présence d’un corbeau qui se dirige vers l’école. Dès lors, on adopte le point de vue de la jeune femme. Le réalisateur revient sur elle qui s’interroge, puis sur le corbeau qui se pose sur la cage à poule. On reste interdit face à ce nombre incalculable de corbeaux, qui se traduit à l’écran par le visage figé de Mélanie. La menace est là, à la vue de tous. La jeune femme s’enfuit vers l’école où le réalisateur la suit à travers un travelling avant pour donner cette impression qu’elle est suivie. Il alterne, ensuite, avec un travelling arrière où l’on peut voir les corbeaux observer Mélanie, leur proie, qui s’enfuit. De ce fait, grâce au point de vue subjectif Hitchcock accentue cette angoisse du spectateur, qui s’identifie à Mélanie, et qui, par conséquent, est pris de frissons. 

Après avoir traité le point de vue de Mélanie, à travers une succession de plans, le réalisateur s’intéresse à celui des enfants.

C’est un plan d’ensemble dont on nous fait part lorsque les enfants se mettent à courir et que les corbeaux prennent leur envol, comparable à celui de chauves-souris. On retrouve dans cet envol cette idée de grandeur et de petitesse des enfants. On peut, encore une fois, rejoindre ce principe de film d’horreur qui aurait pour effet cette fois d’avoir des chauves-souris qui s’envolent d’un manoir hanté. Ou on peut aussi regagner la théorie du calme avant la tempête avec cette quantité invraisemblable de corbeaux faisant penser à une tempête, à un gros nuage noir. S’enchaînent des gros plans des visages d’enfants terrorisés, de leurs pas ainsi que des corbeaux qui nous attaquent nous et les enfants. Ces plans subjectifs nous permettent de nous identifier à ces enfants et à l’horreur de cette scène ainsi que de cette peur qu’ils peuvent ressentir. On se sent rapidement oppressés et étouffés par la situation. De plus, pendant toute cette scène les enfants sont filmés par des travellings horizontaux, avants et arrières qui traduisent cette situation de course-poursuite et de point de vue subjectif. 

L’identification a été possible grâce aux plans alternés et à l’attaque des oiseaux. 

        Grâce à tous ces plans Hitchcock a permis au film de créer la panique à l’écran et dans la salle. Cette scène enchaîne les plans courts, comme ceux des pieds qui courent, les visages des enfants terrorisés face aux corbeaux qui les attaquent et griffent leurs figures. Ces plans se mêlent aux sons des croassements des corbeaux et des hurlements des enfants. On retrouve un effet de foule, d’oppression, d’enfermement, d’impossibilité à s’échapper. Hitchcock a décidé d’utiliser des plans courts et rapides qui suscitent la panique chez le spectateur car il arbore le point de vue de ce dernier. On remarque aussi beaucoup de violence traduite par un insert des lunettes qui renforcent cette violence causée par les volatiles. On peut définir le montage utilisé, ici, comme « montage court » où des courts plans permettent une accélération du rendu à l’image et par conséquent du sentiment du spectateur quant à l’action. Mais cette scène peut aussi être comparée à la fameuse scène présente dans Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein, avec ces travellings qui filment les gens qui courent dans l’escalier, tous paniqués. C’est cet effet de foule incontrôlable qu’on revoit dans Les Oiseaux. En effet, un autre point commun est notable entre les deux films. Dans Le cuirassé Potemkine, un petit garçon tombe dans les escaliers et dans Les Oiseaux c’est une petite fille qui tombe sur la route et perd ses lunettes sous l’agitation de cette foule en panique.

 

        C’est grâce à plusieurs procédés cinématographiques qu’Alfred Hitchcock a réussi à instaurer cet effet d’angoisse qui s’amplifie malgré la menace déjà dévoilée des oiseaux. En effet, les objets choisis par le réalisateur permettent au spectateur d’anticiper la suite des évènements. La cage à poule est synonyme de prison pour les enfants. De ce fait, les objets ne sont pas choisis au hasard, ils représentent tous une allégorie. Le son, lui, est un moyen pour le réalisateur de troubler le spectateur, partagé entre angoisse et oppression. Grâce aux plans subjectifs, le spectateur s’identifie aux personnages. Enfin, le montage constitué de successions de plans courts amplifie les sensations déjà existantes comme l’effroi. Effroi que l’on retrouve dans de nombreux films d’Hitchcock, tel que Psychose

 

Bibliographie :

AUMONT Jacques, MARIE Michel, L’analyse des films, Armand Colin, 2015.

BAZIN André, Qu’est-ce que le cinéma ?, Les Editions du Cerf, 1985.

DECOBERT Lydie, L’arc d’Alfred Hitchcock, un jeu de cordes, 2012. 

JOURNOT Marie-Thérèse, Le Vocabulaire du Cinéma, Armand Colin, 2015.

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